1 – La fin de l’ère coloniale (1940-1960)
La politique sociale du travail : L’emploi en contexte colonial
L’entreprise coloniale, tant tôt perçu par certain comme une exploitation, par d’autre comme une mise en valeur, a posé en son temps plusieurs problèmes dont l’un des plus complexe a été assurément celui du travail et de la main d’œuvre. La période allemande a posé les jalons d’une exploitation humaine à laquelle le couple Franco-britannique mandataire et tutélaire n’a fait que perfectionner. Il faut dire que l’exploitation des ressources naturelles du Cameroun était conditionnée par l’abondance d’une main d’œuvre prête à travailler dans n’importe quelle condition. Deschamps (1952) précise que « la question du travail a toujours été une difficulté majeure pour la mise en valeur des pays tropicaux ». En effet, l’exploitation du Cameroun fut entreprise par les colons français et anglais qui y débarquaient avec les capitaux, la technique, quelques outils et une ferme volonté de faire fortune rapidement. Ils n’amenèrent aucun contingent de main d’œuvre. D’ailleurs, un complexe de supériorité manifeste couplé à un préjugé précis voulaient que l’européen ne puisse pas se livrer sous les tropiques à un travail pénible. Dans ce cas, il devait donc compter sur le concours des indigènes pour réaliser ses rêves. L’un des défis difficile à réaliser pour le colonat fut celui de disposer d’une main d’œuvre en quantité suffisante et de bonne qualité.
Le problème quantitatif se posa immédiatement lorsqu’il fut question d’arracher les indigènes de leurs occupation traditionnelles pour l’introduire dans un nouveau système économique fondé à ses débuts et à 90% sur l’agriculture commerciale, les activités semi-agricoles (telles exploitation forestière) et préindustrielles (telles l’exploitation minière). Il s’est agi là des activités qui par leur nature n’exigeaient pas de qualification autre que physique mais étaient grosse consommatrice de main d’œuvre. Pour y parvenir, les colons usent d’une subtilité pour introduire le travail rémunéré. Mais, devant les faits, pour être honnête, il s’agissait au mieux d’une tromperie, au pire d’un travail forcé sans qu’aucun salaire ne soit effectivement servi à la fin. Comme cela ne suffisait pas, il fallait produire beaucoup, toujours plus que d’habitude, des denrées qui n’avaient rien à voir, ni de près, ni de loi avec ses intérêts, son alimentation, ses habitudes et ses besoins traditionnels. Ainsi, les populations autochtones se trouvent donc désorientées de leur conception communautaire du travail au profit d’une conception individuelle pour un profit individuel. Quant à la qualité, la main d’œuvre locale était étrangère aux outils, aux techniques et aux méthodes de travail venant de l’occident. Pour pallier à cette difficulté, les formations techniques et professionnelles furent une solution largement préconisée.
Au fur et à mesure que les activités prospéraient, le colonat s’attela à organiser le travail. Les entreprises coloniales et l’administration elle-même se sont livrées communément à un pillage systématique du capital humain camerounais sans souci d’ordre ni de règle. Au fil des ans, les salariés augmentaient ainsi son lot de problème à résoudre. Alors, l’administration tenta d’organiser le secteur par une succession de texte juridique dont son application ne sera pas toujours effective. Le premier texte tendant à règlementer le travail au Cameroun voit le jour en 1922 (L. Kaptué, 1986). Mais ce fut une timide tentative sans conviction qui n’obligea pas les autorités à l’appliquer. Dans ce contexte de manque de base juridique précise et contraignant, les cahiers de charge des entreprises tenaient lieu de code de travail. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la loi Houphouët[1] entraina la suppression tout au moins théorique du travail forcé dans les territoires d’outre mer. Les camerounais crurent que le moment est venu de prendre un repos bien mérité et, pendant un certain temps, ceux-ci se montrèrent réticents envers le travail du colon. Pour éviter la paralysie des activités, le service de l’inspection du travail est créé par arrêté du 29 aout 1946. Mais ce service reste très centralisé (Yaoundé, Douala, Garoua) et effectue très peu de tourné d’inspection dans les régions. La preuve de la légèreté d’un tel service réside en ce que pour un total de 380 entreprises en 1947, employant un total de 100.000 personnes, il n’y avait qu’un seul inspecteur général résidant à Douala puis à Yaoundé en 1949 (L. Kaptué, 1986). Sur le champ du travail, la main d’œuvre indigène est abandonnée au bon plaisir de l’employeur. Une nouvelle règlementation qui viendra corriger cette situation fut le décret portant code du travail indigène promulgué en 1952. Mais ce code qui apporta incontestablement des améliorations dans les conditions de travail des indigènes mais ne parvient pas abolir le règne de la loi du plus fort. Car, jusqu’en 1960, certaines de ses disposition parmi les plus importantes étaient encore ignorée par les employeurs et l’administration coloniale.
Par ailleurs, l’Organisation Internationale du travail, crée depuis 1919 fut amené à s’occuper de façon directe des problèmes relatifs à l’emploi des travailleurs indigènes. Cet organisme a adopté une demi-douzaine de convention et de recommandation concernant l’emploi des travailleurs indigènes. Cependant, l’existence de cette gamme de mesure n’a pas pu protéger les indigènes contre les abus du colonat. Les conditions d’existence des travailleurs pour le moins qu’on puisse dire étaient inhumaines. En effet, la main d’œuvre exploitée était constituée presque toujours des migrants recrutés parfois à des kilomètres de son lieu d’emploi. Les travailleurs étaient ainsi séparés abusivement de leurs familles et logés dans des habitations précaires. À ceci s’ajoute une sous-alimentation et une mal nutrition qui sont des éléments de nature à impacter les performances des travailleurs. Il devient évident qu’une main d’œuvre mal logée et mal nourri soit exposée aux maladies endémiques comme le paludisme, la bilharziose, la maladie du sommeil, la trypanosomiase etc. Malgré l’existence de nombreuses dispositions règlementaires en l’occurrence le code du travail des territoires d’outre-mer, qui stipulait en son article en son article 138 que toute entreprise ou établissement devait assurer un service médical ou sanitaire à ses travailleurs. Cependant, dans la pratique, souligne Kaptué (1986), nombre des dispositions réglementaires sont restées lettre morte ; très peu d’employeurs accordaient à la question de la santé toute l’attention qu’elle méritait. En plus, la durée du travail, qui était fixé par la règlementation à 48 heures la semaine à l’exception des travaux agricoles, n’avait pas de commune mesure avec la pratique sur le terrain. En admettant seule la machine travaille sans discontinuer, le travailleur camerounais avait droit seulement à un repos hebdomadaire très souvent bafoué. Au bout de tous ces efforts, les salaires perçus étaient fixés à la hâte et souvent servi à compte-goutte ou de façon irrégulière, ne correspondaient pas avec le rendement.
S’il y a un segment de la population dont le colonat à le moins exploité, c’est bien les femmes et les enfants. Le travail salarié de la femme était très rare sauf dans l’agriculture. La récurrence des travaux durs ont poussé les employeurs à recruter les travailleurs masculins beaucoup plus à même de répondre aux attentes. Les femmes restaient au foyer pour donner des soins aux enfants et procédaient aux cultures traditionnelles. Quant à la main-d’œuvre infantile, elle était d’un emploi courant et occasionnel. C’est ainsi que les enfants étaient par exemple occupés vu chargement des bananiers au port de Bonaberi. Certaines entreprises, sous la fallacieuse dénomination d’apprentis utilisaient les adolescents pour effectuer parfois des travaux normalement réservé aux adultes.
Lors que les britanniques et français prennent possession du Cameroun, il y a certes un grand nombre de piste ou les piéton peuvent circuler mais très peu de véritable route : 400 km au total. Le Park automobile est même encore trop maigre pour qu’on tire parti de ces tronçon existants. C’est donc à dos d’homme que le moindre européen (administrateur, fonctionnaire, commerçants) se déplaçait, lui, ses bagages et ses enfants. Sur ordre que recevaient les chefs de circonscription, les chefs indigènes recrutaient les porteurs désirés pas l’administration pour ses besoins. Au départ, les porteurs étaient choisis parmi les hommes adultes. Mais l’accroissement des besoins, même les femmes et les enfants furent utilisés dans cette besogne comme à l’époque allemande. Pour l’année 1939, l’administration recourut à 18502 porteurs, pendant que les entreprises privées eurent besoin de 6485 (L. Kaptué, 1986). À l’égale des autres centres de besoin qu’étaient les plantations, les chantiers forestiers, les camps miniers etc., les travaux de portage ont ponctionné profondément les populations indigènes. On recourut de manière au travail forcé, sacrifiant l’homme camerounais au profit des intérêts étrangers. Par centaine, les indigène travaillèrent, moururent dans les plantations, sur les chantiers publics de construction des routes, des voies ferrées etc. Les conséquences de cette ponction étaient incalculables sur l’économie locale, sur l’organisation sociale et la stabilité des familles. Car ceux qui étaient affectés à la corvée du portage n’étaient plus au village pour jouer le rôle économique, assurer la pérennité du groupe, toute chose que ni les morts, ni les maigre rétributions que certain en tiraient de leurs corvée ne pouvaient remplacer.
Un évènement qui va impacter la question du travail au Cameroun fut la conférence de Brazzaville tenue en février 1944. Cette rencontre sonne le glas d’une pratique reconnue par tous comme inhumaine et condamnable. Les participants ont adopté le principe de la suppression de travail forcé. Dans ce sillage, la loi Houphouët du 11 avril 1946 fut accueillie au Cameroun avec un grand soupir de soulagement des populations qui, depuis des années courbaient les chines sous le joug colonial. En plus, l’autre bon point sorti de la conférence de Brazzaville fut le décret du 7 aout 1944 autorisant la constitution libre de syndicats professionnels au Cameroun. Il était temps que les travailleurs camerounais qui, depuis le début de la colonisation était livré à l’arbitraire du colon, sans pouvoir riposter, puisse retrouver un cadre ou il pouvait non seulement partager ses peines mais aussi constituer un bloc pour défendre ses intérêts. Avec les débuts de la scolarisation de masse, il existe déjà une poignée de Cameroun « évolués », de plus en plus conscients de leurs droits et à même de les défendre. Dès l’entrée en vigueur de ce texte, de nombreux se constituèrent, ressortissant à trois grande catégories : les syndicats professionnels, les syndicats agricoles et les syndicats patronaux. Cependant, les rapports entre les syndicats et l’administration coloniale fut très mauvais. L’exercice des activités syndicales embêta très vite l’administration qui prit les groupements syndicaux en suspicion. Elle leur reprochait leur « ingérence dans les domaine extra-syndicaux et malveillante insinuations ». Cependant, les syndiqués ne reculent pas, et se saisissent correctement de cet instrument pour tenter de s’affranchir du travail colonial mais aussi pour conquérir la liberté tout court. Et pour preuve du syndicat au militantisme politique il n’y eut qu’un pas.
2 – Le début de l’ère post-indépendance (1960-1980)
La politique sociale du travail : les innovations dans du nouvel Etat indépendant
Le 1er janvier 1960, le statut d’indépendant confère de fait au jeune Etat la souveraineté et la liberté de décider désormais de ses choix politiques, économiques, sociales et culturels. Les nouveaux dirigeants du Cameroun, soucieux de rompre radicalement avec les conditions de vie dégradantes coloniales, engagent des initiatives de développement du Pays. Désormais, les indigènes colonisés d’hier, devenus citoyens libres peuvent maintenant travailler en toute liberté et surtout pour leurs propres intérêts. Pendant plus de deux décennies, le Cameroun fera l’objet d’un bel essor économique. La politique de libéralisation planifié initié dès 1960 abouti un investissement dans tous les secteurs de l’économie. En milieu rural, l’octroi des subventions aux agriculteurs favorise une hausse de la production et une revalorisation des prix des produits agricole de base (café, cacao coton). Tandis qu’en milieu urbain, le taux annuel de création industrielle est de l’ordre de 15% entre 1976 à 1980. Tout le territoire se transforme et ressemble à un vaste chantier à ciel ouvert. Entre 1971 et 1976, 5000 emplois sont créés au Cameroun dont 4000 dans la région du littoral, principalement à Douala. Pendant cette période, le travail monétarisé abonde. Le chômage est réduit à sa plus faible proportion.
Au cours de cette période, la protection sociale de la population, est essentiellement axée sur le modèle salarial, prenant singulièrement la forme d’une sécurité sociale des travailleurs. L’option prise par les décideurs politiques était de limiter la couverture de la sécurité sociale publique aux fonctionnaires, aux agents contractuels de l’Etat et aux salariés relevant du code du travail, immatriculés et en mesure de verser des cotisations régulières. Ces politiques peu éclairées, parcellaires, et dans la plupart des cas inefficientes, ont conduit à une société duale : une poignée d’assurés et d’assistés d’un côté, et la population, très majoritaire, ni assurée ni assistée, de l’autre.
Le secteur informel dont la contribution à l’économie domestique prend de plus en plus d’importance dès 1994 n’a pas eu force d’inclure les populations rurales, les professions libérales, les commerçants, les travailleurs indépendants et les chômeurs du système public de sécurité sociale. Par ailleurs, même pour les populations couvertes, les risques pris en charge se sont limités essentiellement aux allocations familiales, aux pensions vieillesse, invalidité, décès, et aux risques professionnels. Cette démarche tenait compte de la relative prospérité économique du pays et partait du postulat « qu’une proportion croissante de la population active des pays en développement finirait par trouver un emploi dans le secteur formel de l’économie ou par exercer une activité indépendante en étant au bénéfice de la protection sociale ». L’État-providence (de 1965 à 1985) devrait alors mettre en place certains services comme les soins de santé qui ne seraient pas soumis aux lois du marché mais assurés par lui et dispensés gratuitement. Notons qu’un bon nombre d’Etats comme le Cameroun n’ont pas ratifié la convention de Genève qui prescrivait, entre autres, la prise en charge des assurances maladie et chômage. L’effort du pays sera donc porté depuis l’après-indépendance sur la couverture d’assurance maladie pour la catégorie des « privilégiés », la question des inégalités dans l’accès à la santé ayant été simplement ignorée. Le rapprochement de la santé et de la protection sociale devient plus que nécessaire compte tenu des déterminants de la santé qui dépassent largement le cadre médical (logique curative) et qui ont des impacts forts en matière de santé (alimentation de qualité et variée, qualité de l’environnement (air, eau…), estime de soi et insertion sociale, activité physique, etc. (logique préventive et promotrice). La période postindépendance fut marquée par une panoplie de testes juridiques pour encadrer la protection sociale des travailleurs au Cameroun :
1/. Loi n°67-LF-07 du 12 juin 1967 instituant un code des prestations familiales (allocations prénatales, allocations familiales, allocations de maternité, indemnités journalières de congés de maternité.) ;
2/. Loi n°67/LF/8 du 12 juin 1967 qui crée la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale en tant qu’organisme de gestion autonome en charge de la gestion du régime des prestations familiales ;
3/. Loi n° 69/LF-18 du 10 novembre 1969 instituant un régime d’assurance de pension de vieillesse, d’invalidité et de décès. L’on rappelle que dans ce régime, le financement est assuré à travers les cotisations sociales recouvrées tant auprès des employeurs que des travailleurs ;
4/. Ordonnance n°73/17 du 22 mai 1973 portant organisation de la prévoyance sociale qui confie à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale dans le cadre de la politique générale du gouvernement, le service des diverses prestations prévues par la législation de la protection sociale;
5/. Loi n° 77/11 du 13 juillet 1977 portant réparation et prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles qui confie à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale , la couverture et la gestion des risques professionnels, abrogeant ainsi une législation antérieure issue de l’Ordonnance 59-100 du 31 décembre 1959 qui avait confié la gestion de ces risques professionnels aux compagnies privées d’assurance.
3 – L’ère de la crise et de l’ajustement (1980-2000)
La politique sociale du travail : De la rareté de l’emploi à la libéralisation du travail
Pendant un quart de siècle, le Cameroun avait adopté une politique économique qui jusqu’ici avait fait ses preuves. Il s’est basé sur quelques produits de rente comme le cacao, le café, le bois, le coton et plus tard le pétrole pour construire une économie flamboyante qui semblait « bien partie ». Mais les années 1985 et 1986 marquent la fin de la période faste pour l’économie camerounaise et le début d’une récession dont le pays aura du mal à en sortir.
À partir 1987, le Cameroun traverse une grave crise économique se traduisant, sur le terrain de l’emploi, par une baisse vertigineuse de l’offre d’emploi et du niveau de protection chez les travailleurs. Déjà en temps normal la protection des travailleurs était très relative. La politique de l’emploi mise en œuvre par les pouvoirs publics est loin de générer des emplois dépendants et indépendants en nombre suffisant ; la faible couverture du territoire national par les services chargés du contrôle de l’application des normes a causé un taux élevé d’ineffectivité de la législation du travail et surtout de la prévoyance sociale, au point de segmenter le monde du travail camerounais en deux grands blocs : le bloc des travailleurs bénéficiant de la protection légale et le bloc, plus important, des travailleurs qu’on pourrait dire au « noir ». Par ailleurs, la crise économique a contraint les entreprises à de choix stratégiques très souvent défavorables aux travailleurs. On relève qu’entre fin 1987 et fin 1995, 26.000 personnes ont perdu leurs emplois dans les secteurs publics et parapublics et 33.000 salariés ont été licenciés dans les entreprises privées, représentant 6,2% des effectifs du secteur moderne. Deux réactions principales peuvent être soulignées, dont l’une est bien visible et l’autre assez occulte. De façon très ostensible, les entreprises ont été amenées à procéder aux licenciements massifs ou, au mieux, à maintenir les relations de travail au prix d’un abaissement très significatif du niveau de protection des travailleurs. En 1997, les statistiques officielles indiquaient qu’entre 1989 et 1994, les prestations sociales dues aux travailleurs avaient chuté de plus de 60 % et qu’en 1994, le Cameroun comptait seulement 26 médecins du travail, soit deux fois moins qu’en 1986. Les institutions en charge de la sécurité sociale ne parviennent plus à couvrir leurs dépenses avec les produits des cotisations, ce qui a entrainé la restructuration d’entreprises publiques chargées de la sécurité sociale (obligation de n’offrir qu’un paquet minimum de prestations). Une telle baisse accélérée du niveau de protection est facilitée par la peur, chez les travailleurs, de se retrouver sans emploi, ce qui est synonyme d’absence totale de revenu.
La crise économique a paupérisé largement les couches urbaines tandis que dans les campagnes, la survie des populations dépend exclusivement de la culture vivrière. La mise en œuvre du PAS a entrainé une montée fulgurante de la pauvreté au point ou même les réponses gouvernementales n’ont pas pu la réduire. On retient qu’en 1990, le gouvernement camerounais a lancé une opération d’aide à la création des Petites et Moyennes Entreprises. Il s’agit de l’opération « jeune promoteur » dont l’objectif était d’aider les jeunes ayant conçu un bon projet de micro entreprise économique. La même année, le gouvernement crée le Fond National de l’emploi, un service public dédié uniquement à l’emploi. Cependant, cette mesure n’a pas pu infléchir la courbe du chômage. A Douala, capitale économique, la pauvreté prend des proportions inquiétantes : le taux de pauvreté est de 30% en 1993 et atteint 71% en zone rurale la même année. Pendant ce temps, la baisse de rémunération publique et privée de 70% (1993) couplée à la dévaluation monétaire (1994) ont fragilisé les pouvoir d’achat des citadins. Face à ce dysfonctionnement économique, une sorte de génie populaire se manifeste, dont le principal objectif est de résoudre à moindre coût la plupart de problème qui se pose aux citadins. Le secteur informel gagne ainsi en intensité et domine tous les secteurs de l’économie. Entre 1980 et 1998, la proportion de la population active au Cameroun employée dans le secteur informel est passée de 37% à 72%.
4 – Au-delà de l’ajustement (2000-2019)
La politique sociale du travail : De la rareté de l’emploi à la libéralisation du travail
Pendant un quart de siècle, le Cameroun avait adopté une politique économique qui jusqu’ici avait fait ses preuves. Il s’est basé sur quelques produits de rente comme le cacao, le café, le bois, le coton et plus tard le pétrole pour construire une économie flamboyante qui semblait « bien partie ». Mais les années 1985 et 1986 marquent la fin de la période faste pour l’économie camerounaise et le début d’une récession dont le pays aura du mal à en sortir.
À partir 1987, le Cameroun traverse une grave crise économique se traduisant, sur le terrain de l’emploi, par une baisse vertigineuse de l’offre d’emploi et du niveau de protection chez les travailleurs. Déjà en temps normal la protection des travailleurs était très relative. La politique de l’emploi mise en œuvre par les pouvoirs publics est loin de générer des emplois dépendants et indépendants en nombre suffisant ; la faible couverture du territoire national par les services chargés du contrôle de l’application des normes a causé un taux élevé d’ineffectivité de la législation du travail et surtout de la prévoyance sociale, au point de segmenter le monde du travail camerounais en deux grands blocs : le bloc des travailleurs bénéficiant de la protection légale et le bloc, plus important, des travailleurs qu’on pourrait dire au « noir ». Par ailleurs, la crise économique a contraint les entreprises à de choix stratégiques très souvent défavorables aux travailleurs. On relève qu’entre fin 1987 et fin 1995, 26.000 personnes ont perdu leurs emplois dans les secteurs publics et parapublics et 33.000 salariés ont été licenciés dans les entreprises privées, représentant 6,2% des effectifs du secteur moderne. Deux réactions principales peuvent être soulignées, dont l’une est bien visible et l’autre assez occulte. De façon très ostensible, les entreprises ont été amenées à procéder aux licenciements massifs ou, au mieux, à maintenir les relations de travail au prix d’un abaissement très significatif du niveau de protection des travailleurs. En 1997, les statistiques officielles indiquaient qu’entre 1989 et 1994, les prestations sociales dues aux travailleurs avaient chuté de plus de 60 % et qu’en 1994, le Cameroun comptait seulement 26 médecins du travail, soit deux fois moins qu’en 1986. Les institutions en charge de la sécurité sociale ne parviennent plus à couvrir leurs dépenses avec les produits des cotisations, ce qui a entrainé la restructuration d’entreprises publiques chargées de la sécurité sociale (obligation de n’offrir qu’un paquet minimum de prestations). Une telle baisse accélérée du niveau de protection est facilitée par la peur, chez les travailleurs, de se retrouver sans emploi, ce qui est synonyme d’absence totale de revenu.
La crise économique a paupérisé largement les couches urbaines tandis que dans les campagnes, la survie des populations dépend exclusivement de la culture vivrière. La mise en œuvre du PAS a entrainé une montée fulgurante de la pauvreté au point ou même les réponses gouvernementales n’ont pas pu la réduire. On retient qu’en 1990, le gouvernement camerounais a lancé une opération d’aide à la création des Petites et Moyennes Entreprises. Il s’agit de l’opération « jeune promoteur » dont l’objectif était d’aider les jeunes ayant conçu un bon projet de micro entreprise économique. La même année, le gouvernement crée le Fond National de l’emploi, un service public dédié uniquement à l’emploi. Cependant, cette mesure n’a pas pu infléchir la courbe du chômage. A Douala, capitale économique, la pauvreté prend des proportions inquiétantes : le taux de pauvreté est de 30% en 1993 et atteint 71% en zone rurale la même année. Pendant ce temps, la baisse de rémunération publique et privée de 70% (1993) couplée à la dévaluation monétaire (1994) ont fragilisé les pouvoir d’achat des citadins. Face à ce dysfonctionnement économique, une sorte de génie populaire se manifeste, dont le principal objectif est de résoudre à moindre coût la plupart de problème qui se pose aux citadins. Le secteur informel gagne ainsi en intensité et domine tous les secteurs de l’économie. Entre 1980 et 1998, la proportion de la population active au Cameroun employée dans le secteur informel est passée de 37% à 72%.
5 – L’ère du COVID-19 (2019)
La politique sociale du travail : Une précarisation de l’emploi liée à la pandémie
Au-delà de la crise sanitaire, la pandémie de la COVID-19 s’est transformée en choc pour l’économie et les entreprises, affectant aussi bien l’offre que la demande nationale. Du côté de l’offre, le déclin de l’activité économique et les contraintes pesant sur la circulation des biens et des personnes ont une forte incidence sur l’industrie manufacturière et les services. Les résultats de l’enquête socio-économique conduite par l’INS (avril-mai 2020) montrent que la crise de la COVID-19 a notamment créé un dysfonctionnement dans la conduite des activités des entreprises. Ainsi, près de 80% des chefs d’entreprises dans le secteur formel estiment connaître un ralentissement moyen ou important de leur activité (V. Ondoua Biwelé, 2020). Dans le secteur informel, ce ralentissement se situe à près de 82% (V. Ondoua Biwelé, 2020). De manière générale, 82,6% des chefs d’entreprises ont déclaré connaître une baisse de leur production (V. Ondoua Biwelé, 2020). Toutefois, cette situation est plus prononcée dans les entreprises du secteur formel que du secteur informel. Le chiffre d’affaires quant à lui s’est inscrit en baisse pour près de 95,5% des entreprises, parmi lesquelles près de la moitié révèle connaître une baisse de plus de 50% de leur chiffre d’affaires (V. Ondoua Biwelé, 2020).
Plusieurs filières concernées par cette baisse d’activité sont en effet pourvoyeuses d’emplois. Selon l’étude économique et financière des entreprises en 2017, publié par l’INS (2019), le transport et l’entreposage contribuent pour 8,3% à la création d’emplois, l’hébergement et la restauration (2,2%) l’agriculture (7,7%), l’industrie du bois sauf fabrication des meubles (1,8%), les industries extractives (0,5%). Ainsi pour pallier les effets néfastes de cette crise, l’enquête des effets socio-économique du COVID-19 révèle que dans l’ensemble 64,5% des entreprises ont réduit leurs heures de travail, 50,1% ont eu recours à la mise en chômage technique de certains employés, 45,3% ont procédé à la réduction des salaires et 58,2% ont revu leurs effectifs d’employés à la baisse. La réduction des effectifs d’employés est relativement plus présente dans les PME du secteur moderne avec près de 62,2% des entreprises concernées. De plus, cette perte d’emploi concerne aussi bien le personnel temporaire que le personnel permanent. Cela est assez prononcé dans certaines branches d’activités. En effet, on enregistre une perte d’emploi de plus de 50% dans les branches telles que l’éducation, l’hébergement et la restauration, la sylviculture et la construction, qui ont déjà fortement souffert des crises sécuritaires dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et de la lutte contre la secte terroriste Boko Haram dans les régions septentrionales.
Au Cameroun, la prédominance de l’économie informelle et le sous-emploi, ainsi que la persistance des emplois précaires et du chômage urbain sont des éléments susceptibles d’amplifier les effets négatifs du coronavirus sur le niveau de l’emploi, et partant, le revenu des ménages. Si l’emploi indépendant est généralement peu sensible aux ralentissements économiques et agit comme un régulateur socio-économique, les restrictions actuelles à la circulation des personnes et des biens sont de nature à freiner ce type de mécanisme d’adaptation. Le secteur informel, qui emploie près de 90 % de la population active, dont 92% des jeunes âgés de 15-34 ans, est négativement affecté par la COVID-19 conduisant ainsi à une grave détérioration de la qualité et de la quantité d’emplois au niveau national. Ainsi, la CEA (2020) estime que les pertes d’emplois sont importantes, en particulier dans le secteur informel où la protection de l’emploi est plus faible.
[1] Loi N° 46-645 du 11 avril 1946 tendant à la suppression du travail forcé dans les territoires d’Outre-mer, JOC, 1946.