RD Congo

1 – La fin de l’ère coloniale

La politique du travail au Congo belge était qualifiée de la « question de la main-d’œuvre indigène » et du « travailleur salarié ». C’était l’une des questions majeures de la politique coloniale dans la mesure où le Congo était considéré, comme le disent si bien Loka et Lobho, plutôt comme une entreprise financière qu’un Etat colonial.  (Loka & Lobho, 1998 :13).

Cette politique trouvait son fondement dans la législation sur le contrat de travail et de recrutement de 1917 et de l’arrêté N°144 du vice-gouverneur Général du Haut Katanga de 1922 qui réglementait exceptionnellement le travail dans les entreprises minières dans cette province de la colonie.

La politique coloniale de l’emploi dans la colonie devrait par conséquent être subdivisée en deux, selon que l’on est en face des travailleurs Belges et des indigènes. Remarquons que le coût élevé provoqué de l’emploi des travailleurs blancs, les conditions climatiques qui leur étaient défavorables et l’échec de la tentative d’implanter une main d’œuvre asiatique a permis de pousser la population congolaise aux occupations agraires et des travaux dans les zones industrielles

La période qui va de 1945 à 1956 fut marquée au Congo belge par une forte croissance économique. L’Union minière, le principal moteur de l’économie congolaise, procéda à l’extension de ses activités et doubla sa production de cuivre. Autour de l’industrie minière se développa par ailleurs, un tissu de petites et moyennes industries de transformation. L’administration coloniale belge élabora en 1949 un ambitieux plan de développement, largement à charge du Congo lui-même, qui aboutit à la construction de nombreuses infrastructures. (Loka & Lobho, 1998 :162).

Sur le plan législatif, le gouvernement colonial, par l’arrêté N°174/42 du 12 juin 1942 autorisa l’organisation des syndicats et ouvrirent la voie au paiement des allocations familiales. L’ambition de tout cet arrêté, souligne Loka et Lobho, était de dépasser le modèle du paternalisme d’entreprise, qui avait prévalu jusqu’alors, pour jeter les bases d’une politique sociale qui supposait un meilleur contrôle des populations et de leur (re)production comme main-d’œuvre dans le tissu urbain industriel.

Cette politique sociale devait permettre, in fine, d’apaiser le mécontentement social des Congolais qui ne faisaient que s’accroître face aux injustices et mauvais traitements qu’ils subissaient dans le milieu du travail. Mais aussi de désamorcer les critiques sur la scène internationale sur les conditions de travail dans la colonie belge, si nécessaire pour fournir une nouvelle base de légitimité de la tutelle belge, en proie à de nombreuses critiques.

Dans le secteur de l’emploi, seules les femmes privilégiées, issues donc des familles des notables qui étaient religieuses, aides-soignantes, sages-femmes ou aide-ménagères dans les foyers des colons. Leur nombre était très limité. Tandis que la procédure de leur sélection à la fois particulière et très exigeante. Dès lors, la majorité d’entre elles était non instruite et commise aux tâches ménagères.

Le système de l’emploi dans la colonie était très discriminatoire. Les emplois de commandement dans l’administration publique et dans le secteur privé n’étaient réservés qu’aux expatriés. Les autochtones devraient se contenter d’exécuter les tâches secondaires. La rémunération, par rapport à celles des expatriées était sans commune mesure. En effet, des salaires dérisoires et insuffisants pour nouer les deux bouts du mois étaient la rétribution des autochtones. Le droit à la grève, aux associations étaient systématiquement bafoués.

 2 – L’ère post indépendance 1960-1965

La crise congolaise post indépendance est une période de troubles politiques et de conflit ayant eu lieu en RDC entre 1960 et 1965. La crise commence presque immédiatement après l’indépendance du pays et prend fin avec l’accession à la présidence de Mobutu en 1965. Cette période était caractérisée par la mutinerie des militaires, l’agression belge, l’assassinat du premier ministre Lumumba, les sécessions, des rébellions, les départ massif des colons, l’agression du pays par le Belgique, l’intervention des nations Unies pour sécuriser la population locale, etc.[1]

Finalement, les cinq gouvernements qui se sont succédé en cinq ans n’ont pas pu concevoir, chacun en ce qui le concerne, des politiques sociales en faveur de la population. Tous les efforts du pouvoir public étaient consacrés au rétablissement de la paix et à la recherche de l’unité nationale, volée en éclat. En outre, le pays faisait face à des difficultés financières étant donné qu’il était privé des ressources minières à cause de la sécession des trois provinces minières et devrait par ailleurs faire face à l’effort de guerre.

Ainsi, après l’indépendance, le pays qui était censé hériter des bienfaits de l’époque coloniale dans plusieurs domaines sera pratiquement bloqué. Le départ massif et précipité des belges a paralysé tous les secteurs clés. L’enseignement et l’éducation, deux secteurs qui étaient totalement assurés par les colons ont connu brusquement un dysfonctionnement. Les enseignants et les médecins belges, du reste qualifié, ont été du jour au lendemain remplacés par des congolais sans niveau requis. Livrant ainsi ces deux secteurs sensibles entre des mains inexpertes.

Le secteur de l’emploi et de logement n’avait pas bougé non plus dans la mesure où la situation de la guerre chronique rendait difficile la mise en place des projets dans ces deux domaines. La dépréciation de la monnaie, l’augmentation du coût de la vie et le taux élevé du chômage étaient les caractéristiques de cette période. Cette situation trouve son fondement dans le manque de préparation des hommes politiques, la carence quasi-totale des cadres, les querelles tribales, les ambitions démesurées des certains leaders politiques et les convoitises internationales.

La Belgique était au centre de la manœuvre de la déstabilisation du pays à travers, notamment la manipulation des acteurs politiques, cristallisée surtout par la sécession katangaise et l’envoie des parachutes belges sous le prétexte de protéger des sujets Belges résidents encore au Congo. Se souvenant de cette période, l’universitaire congolais Loka affirme : « les gens se demandaient quand est-ce que l’indépendance prendra-t-elle fin ? »[2]

Accusée par le gouvernement congolais d’agression et d’ingérence, la Belgique, selon plusieurs études[3], mettra tout en œuvre pour rendre le pays ingouvernable. Ce qui préjudicia tous les projets de développement initiés par les colonisateurs qui étaient en cours d’exécution et rendait finalement impossible d’en initier d’autres. C’est dans ce contexte de chao que le Congo sera finalement sous l’assistance de l’ONU. C’est la Mission de l’Onu au Congo qui tentera d’organiser des interventions pour restaurer la paix et instaurer un nouvel ordre politique. Devant la persistance de la misère et la dégradation constante de la situation du pays, un changement politique par la force est alors soutenu par les puissances occidentales.

3 – La période du monopartisme et de l’ajustement structurel : 1965-1990

La stabilité et la croissance économiques ont eu un impact direct sur le secteur de l’emploi à partir de 1967. La gestion du secteur de l’emploi au Zaïre demeura un problème que le gouvernement stratifia à deux niveaux : la création de l’emploi décent pour les jeunes et l’amélioration de la productivité du travail par la promotion du dialogue social, des principes et des droits fondamentaux au travail et de la protection sociale. C’est ainsi qu’en 1969, le gouvernement élaborera le plan national de l’emploi, une vision gouvernementale pour prendre à bras le corps la question de l’emploi.

Ce plan propose notamment la création des écoles d’enseignement technique et professionnel pour prendre en charge les jeunes qui n’ont pas suivi le schéma classique de l’enseignement, la formalisation des emplois dans les milieux ruraux, où vivent 70 % de la population, la révision du code de travail pour l’adapter au réalité du nouveau contexte sociopolitique, la dépolitisation du circuit de recrutement dans les entreprises et établissement publics. La question de sécurité sociale des employés sera également réglée dans ce plan de l’emploi.

Malgré toutes ces mesures publiques, la question du chômage continua se poser avec acuité. En 1977, lors de sa campagne électorale, le candidat unique à la présidentielle, Joseph Mobutu, déclara la lutte contre le chômage la priorité des priorités.

Dans cette logique de priorité, une part belle était accordée aussi à la femme. Le président Mobutu avait nommé, déjà en 1966, deux femmes ministres et cela continua ainsi dans tous les gouvernements qui se succédèrent. Il avait aussi, assuré l’intégration des femmes au sein des forces armées et le droit d’obtenir l’accès aux même au niveau de l’éducation et aux emplois. En 1980, le Secrétariat permanent de la Condition féminine a été créé, l’ancêtre de l’actuel ministère de la Condition féminine et de la Famille.  En août 1987, le Code de la Famille et le Code Civil ont été adoptés. Aussi, a-t-on remarqué des femmes à la tête des secteurs de l’environnement, des P.T.T., de l’économie nationale, des affaires étrangères et des affaires foncières. (Vedra, 2014 : 12). Le nombre des femmes travailleuses au niveau de l’administration publique ne cessait de croitre.

L’option levée par le régime de Mobutu, selon le manifeste de Nsele, était de bâtir une société une société juste et prospère au cœur de l’Afrique et de restaurer la dignité du peuple perdue durant la colonisation.  (Bureau du Président du MPR, 1967 : 6). Cette société qui devrait trouver son fondement dans le travail ne verra cependant pas le jour dans la mesure où les déclarations politiques, surtout à partir des années 1985 seront contredites par les réalités du terrain. Le taux de chômage pendra l’ascenseur et les chantiers seront en arrêt jusqu’à l’éviction du régime dictatorial de Mobutu.

4 – Période de transition politique 1990-2006

A partir de 1991, la production du cuivre a presque cessé en RDC. Certaines exportations agricoles traditionnelles sont devenues non compétitives (coton, huile de palme, maïs), et le pays n’exportait presque plus. Les entreprises publiques devinrent des canards boiteux ; certaines d’entre elles ferment carrément. Beaucoup d’entreprises privées tombent aussi en faillite.

Le pays va vivre du secteur informel et de l’extraction des diamants. Avec la guerre, à partir de de 1996 jusqu’en 2003, l’Etat avait pratiquement cessé de fonctionner normalement. Le budget de l’Etat était en dessous d’un milliard de dollars l’an. Ce qui aura globalement un impact néfaste et direct sur le secteur de l’emploi. En dépit de ce tableau sombre, le gouvernement n’initiera entretemps aucune politique sociale de l’emploi. Il en sera de même pour le secteur de logement.

Si l’ensemble de la société sera victime de cette situation, les femmes et les enfants en paieront quant à eux le plus grand prix. Plusieurs femmes au cours de cette période perdront leur emploi, et donc leur indépendance sociale. Les femmes au foyer devraient aussi broyer du noir du fait que leurs époux n’étaient plus en mesure de pourvoir suffisamment à leurs besoins. Elles vont toutes se tourner vers la débrouillardise, l’informel. C’est justement ces activités de la femme qui vont les rendre de nouveau indépendante et à même de soutenir véritablement les ménages. L’espoir de plusieurs familles reposait désormais sur les femmes qui devinrent, grâce à leurs activités, des productrices des revenus.

L’on peut déduire de ce qui précède que cette période sous examen était caractérisée par le désordre, des troubles et l’essor des antivaleurs. Les anciens belligérants étaient tous dans la logique électorale. Cet aspect aura une influence remarquable sur les actions sociales menées qui s’apparentaient au saupoudrage et de la propagande ; car n’ayant rien des politiques sociales mises sur agenda politique, jouant leur rôle traditionnel.

Les différents gouvernements qui vont se succéder au cours de cette période n’ont pas comme principale préoccupation l’amélioration des conditions de vie. Déjà issus des coups d’Etat, ces gouvernements avaient du mal à asseoir leur légitimité. Il eut donc des cassures entre le ces régimes et la population, alimentées sans cesse par l’inactivisme étatique.  A partir de 1996, c’est la question de la guerre, du retour à la paix et à la stabilité constitutionnelle qui ont talonné les esprits. Les secteurs de l’éducation et de la santé seront globalement pris en charge par des partenaires étrangers et des privés au moment où l’informel s’était enraciné dans le secteur de l’emploi et de logement. Et, dans certains cas, l’initiative et même le financement des politiques sociales endossées le gouvernement étaient en réalité l’œuvre des partenaires internationaux dans le cadre d’appui à un pays en conflit ou post-conflit.

5 – La période post-transition et post-conflit : 2007-2018

Le retour de la croissance économique et l’amélioration du climat des affaires ont permis au pays de relancer le secteur de l’emploi qui était quasiment abandonné.  Le gouvernement s’est illustré, durant cette période, à travers l’élaboration de la politique nationale de l’emploi, l’amélioration et l’élargissement des prestations sociales gérées par l’Institut National de Sécurité Sociale, INSS en sigle,  la mise en place de la caisse de retraite pour les Agents Publics de l’Etat par le Ministère de la Fonction Publique, la mise en place, sous le leadership du Vice Premier Ministre et Ministre de l’Emploi, Travail et Prévoyance Sociale, d’une alliance stratégique de partenaires techniques et financiers pour accompagner le processus d’élaboration de la Politique et de la Stratégie Nationale de Protection Sociale,  la réalisation des études dans le domaine de la main d’œuvre qualifiée et de la mutualisation par le Ministère de l’Emploi, pour orienter la prise des décisions du gouvernement dans le domaine de Protection Sociale, le processus d’actualisation de la liste des maladies professionnelles par le Ministère de l’Emploi, Travail et Prévoyance Sociale[4].

Cependant, la question du chômage des jeunes n’a pas été courageusement prise en compte. Malgré l’arrivée des chinois, à la demande du gouvernement, pour contribuer au développement du pays s’est soldé par une grande désillusion. Non seulement parce que leurs entreprises rémunèrent très mal mais aussi et surtout, elles ont auguré le système de sous-traitance, clochardisant les travailleurs.

Par ailleurs, l’accès aux quelques emplois existants était discriminatoire. Il y avait une nette distinction entre les ressortissants des provinces qui avaient voté pour le président et ceux qui avaient jeté leur dévolu sur son principal challenger et entre les militants du parti au pouvoir et ceux de l’opposition. Ainsi lesdits emplois n’étaient réservés qu’aux militants du parti au pouvoir et aux membres de familles des autorités publiques.  Entretemps, les besoins exprimés par les nouveaux demandeurs d’emplois et les nouveaux chômeurs n’ont pas réussi à amener les sept différents gouvernements qui se sont succédés entre 2007 et 2018, à résoudre la question de l’emploi.

6 – La période de COVID-19

Le problème de chômage des jeunes, déjà observé dans toutes les villes du pays avant la pandémie, s’est posé avec acuité en 2020. Cette situation résulte de la fermeture en cascade des entreprises. Il s’en est suivi un assainissement du personnel en dépit la recommandation du gouvernement interdisant le licenciement du personnel durant la période de confinement.

Au niveau du logement, la mesure gouvernementale la plus importante était la suspension durant trois mois, soit de mars à juin 2020, du paiement des frais loyer et l’interdiction à tout bailleur de résilier, quelle qu’en soit la raison, le contrat de bail.

L’on peut déduire, qu’en deux ans d’exercice du pouvoir, l’action étatique du nouveau régime n’est jusqu’ici perceptible que dans les secteurs de l’éducation et de la santé. La mise en œuvre de la gratuité à l’école primaire reste la politique sociale phare au moment où la lutte contre la COVID-19 a volé la vedette à tous les autres aspects de la santé. Les deux autres secteurs n’ont pas été pris en charge faute d’une approche stratégique et opérationnelle des dirigeants, préoccupés par la consolidation de leur pouvoir. 

L’arsenal juridique relatif à la promotion et à la défense des droits de la femme n’a pas évolué entretemps. Mais la dynamique mise en place depuis 2007 n’a pas baissé avec le nouveau régime. Mais des efforts particuliers pour mettre la femme en pole position n’est sont pas encore perceptibles.

Comme entre 2006 et 2018, les institutions nationales et provinciales sont celles qui censées jouer le rôle d’avant plan dans l’initiation et la mise en œuvre des politiques sociales. Ainsi, le président de la République, les ministres sectoriels et les gouverneurs de provinces sont des acteurs clés dans l’implémentation des politiques sociales.

Il est certes difficile de faire une évaluation des politiques sociales mises en place par le nouveau régime, il y a à peine deux ans. La crise de légitimité après la publication des résultats électoraux, l’absence d’une majorité parlementaire totalement acquise au nouveau pouvoir, la guerre interminable dans l’est du pays, l’amateurisme des nouvelles autorités, la corruption généralisée ont, somme toute, réduit l’efficacité de l’action gouvernementale. Déjà considéré comme un pouvoir issu de la fraude électorale, le gouvernement est toujours en quête d’une certaine légitimité. Ceci constitue un facteur qui devrait plutôt l’amener à poser une série d’actions au bénéfice de la population. C’est plutôt le contraire, avec l’esprit politiste, la tendance vouloir résoudre les problèmes politiques par la politique à travers des conciliabules, des débauchages, l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire, etc. Ce qui entraine à la fois incurie et diversion. 

L’instabilité des institutions provinciales est une autre contrainte majeure. En l’absence des rétrocessions financières du gouvernement central durant plus d’années, les provinces n’ont fonctionné qu’avec les maigres recettes propres. On retrouve ainsi les députés de toutes les provinces accumuler 13 mois sans émoluments. Il en est de même pour le personnel politique des cabinets des gouverneurs et des ministres provinciaux.

L’on doit noter que les demandes populaires sont toujours plus pressantes. La liberté d’opinion, avec les réseaux sociaux constitue des moyens de pression pour pousser le gouvernement à agir. L’appui de la communauté internationale et des organismes de toutes sortes est une autre opportunité même si, au fond, cette approche de la sébile tendue est toujours un signe de faiblesse et de la léthargie de l’action gouvernementale

[1] Lire à cet effet David REYBROUCK, Congo une histoire, Bebel, Amsterdam, 2012, p364-424.

[2] De nos entretiens avec Loka ne Kongo.

[3] Lire à cet effet, Joël MUKUMADI, La crise au Congo-zaïre. Le Belgique au centre du drame congolais, CIEDOS, 1986, CAPELAERE Pierre, Congo (RDC). Puissance et fragilité, L’Harmattan, Paris, 2011, REMILLEUX JEAN LOUIS, Mobutu. Dignité pour l’Afrique, Albin Michel, Paris, 1989, N’GBANDA NZAMBO-KO-ATUMBA, Ainsi sonne le glas ! Les derniers jours du Maréchal Mobutu, GIDEPPE, Paris, 1998.

[4] De nos entretiens avec Mme Angélique Inzun, Secrétaire Général du Ministère de l’emploi et prévoyance sociale.